Cette ombre épaisse qui m'est si familière, recouvre la cité. Tant d'années se sont écoulées depuis l'exécution de Wordrantz. Et plus d'années encore pour que je récupère sa mémoire, ma mémoire. Alors que je me rapproche de ses murs, un millier de souvenirs se précipitent dans mon esprit. Le quartier Est a bien changé; les résidences des deux maisons nobles du quartier Ouest ont été agrandies, sans doute ont-ils tiré profit de la faiblesse de mon père.
Si je reste ici plus d'une semaine, je ferai honte aux khainites. Et ce Kravor risque de me soupçonner encore plus. Mais sa faiblesse l'amène à me menacer. Il s'est bien rendu compte que j'arrivais le dernier et repartais en avance mais il ignore encore pourquoi. Il croit encore à de la fainéantise. Cette mission viendrait-elle de lui?...
Ton esprit s'égare. N'y pense plus! Concentre-toi sur cette mission.
Je dois me rendre dans le quartier nord pour rencontrer l'indicateur qui m'en apprendra plus sur ma mission ici. En passant je repère les cachettes que j'utilisais dans ma jeunesse. Mon expérience d'assassinat me conduit à penser que le troisième patio de cette rue est le seul endroit exposé à la pénombre donc celui que n'importe qui contrôle machinalement en passant dans cette rue, pas étonnant que je perdais à cache-cache. L'entrée de la bibliothèque est entièrement éclairée désormais. Par contre la coursive par laquelle je quittais la résidence était parfaite, et ma furtivité en tant qu'assassin est décuplé comparé à celle que je possédais alors.
Il me reste 2 heures avant mon rendez-vous, je fais un détour par cette demeure qui était la mienne. Je pénètre dans ce qui furent mes appartements, désormais condamnés ils servent de débarra. En fouillant je trouve des lambeaux de parchemins dans la cheminée. Ils sont illisibles mais j'en devine le contenu, on rapporte à un homme influent la mort de son fils qui a eu l'audace de résister à son suzerain. Mais le seul élément encore déchiffrable est le sceau: celui de ma famille, pas celui de Malékith. Le feu a dû l'effacer.
En fouillant le bureau de mon père je trouve bien protégée un document disant que ma soeur à rejoint les furies de khaine. Elle, si fragile. Une fois que je n'étais plus là, père a dû s'acharner sur elle.
Il est temps d'y aller. Une fois au point de rendez-vous je tombe nez à nez avec le cadavre du messager. Et bien sur, les précieux documents ont disparus. Alors que je le fouillais, le cadavre se met à remuer. Dans un dernier souffle de vie il me murmure le nom de mon père. Nul doute sur ma cible. Mais quelqu'un semble vouloir le défendre. J'en déduis qu'il est toujours aussi puissant, ce qui me rassure. Et là, je réagis c'est lui que je dois tuer.
Comment faire? Peut-être pourrais-je le faire tomber par dessus la rambarde et s'empaler sur le lustre. Je déguiserai la scène de sorte que l'on pense qu'il a glissé sur une flaque de vin. La salle de réception et son escalier son parfait pour cela. Non, je ne peux pas, c'est mon père, et je risque d'avoir encore besoin de lui, ...
Mes pensées s'embrouillent alors que je m'en retourne une fois de plus vers cette demeure, ma demeure. Mais je m'apprête à la perdre. La mort de mon père mettra fin à notre lignée puisque wordrantz, le fils que j'étais, est mort; et ma soeur disparue dans un temple de khaine. Peut-être devrai-je être triste? Je n'en sais rien, je ne ressens plus les émotions de la même manière. En tant qu'assassin je ne vois plus un cadavre comme un cadavre mais le travail d'un meurtrier. Je vois chaque coupure et je juge: trop profonde, trop légère, mal visée celle-ci a touché son armure,... Mes sentiments ont évolué de la même manière. Je ne réagis plus à un fait naturellement, je me pose d'abord un tas de questions: A qui ma réaction profite-t-elle? Pourquoi?...
Ca y est j'arrive devant la résidence. Je repère une ombre dans le noir. Ne t'en préoccupe pas, fait comme si de rien était. Je rentre par mon passage, et me camoufle dans le débarras. Quelques minutes plus tard mon nouvel amis rentre à son tour. Furtivement il lance trois étoiles sur la cape que j'avais placé dans un coin, le coin sombre, celui que tout le monde contrôle. Il murmure des paroles à voix haute:
-Je ne sais pas comment tu as pu trouver cette entrée si vite, sans doute avais-tu quelques capacités finalement.
Je connais cette voix, c'est ce que je me dis alors que ma dague caresse la gorge de mon compatriote. Une seule coupure, suffisamment maladroite pour ce que j'ai à faire, suffisamment profonde pour qu'il ne puisse crier. Je le tiens fermement alors qu'il tente de se débattre, et j'attends que le poison agisse.
-Alors comme çà tu as cherché à me doubler Kravor! Moi qui trouvais étrange que le messager respire encore. Je me suis douté de tes intentions depuis le début. J'étais trop inexpérimenté pour qu'on me laisse partir en mission dans une autre cité seul. J'ai suspecté qu'un autre assassin devrait me chaperonner. Tu étais trop suspicieux à mon égard. Tu pense encore que c'est toi qui m'a choisi, toi qui as saisi l'occasion de te débarrasser de moi. Erreur! C'est moi qui aie saisie celle de me débarrasser de toi!
Je récupère ensuite les papiers du messager. Et je découvre qui en veux à la vie de mon père. Maudite maison de l'Ouest, ils n'ont jamais su où était leur place. Ces petits intrigants qui n'ont jamais été sur un champ de bataille et pensent atteindre le sommet de l'échelle uniquement en faisant des duels et en conspirant dans le dos des puissants.
Je modifie le document. J'ai juste à échanger les deux sceaux. Et le chasseur devient le chassé, cette maudite famille de l'Ouest vient de devenir la cible d'un assassin d'élite envoyé par mon père.
Je finis ma mise en scène et comprend, la disposition des sceaux sur le parchemin d'ordre. C'est la même que sur le bout de parchemin calciné que j'ai retrouvé, il y a maintenant trois heures, dans la cheminée de mon ancienne chambre. Je veux en avoir le coeur net. Je retourne donc pour la troisième fois dans cette demeure où doit être mon père.
Ce soir on organise une soirée dans la grande salle. Mais mon père n'est pas parmi les convives. Il sera surement dans son bureau. Non le voilà. Je lui apparais, je veux qu'il sache, qu'il sache pour son fils, son héritier qui vient de le sauver. Sa bouche s'ouvre en grand alors qu'il aperçoit un assassin sortir de l'ombre. Alors j'abaisse mon masque. Il sera le premier à revoir ce visage. Pris de surprise il bascule par dessus la rambarde en hurlant "Wordrantz", et s'empale sur le lustre.
Je ne voulais pas çà. Néanmoins en m'éloignant, j'entends les convives:
-Un tragique destin!
-Lui que même son sâle prétentieux de fils n'avait pas pu détrôner.
-Il se vantait partout de l'avoir fait exécuter mais au fond il avait des remords.
-Un faible qui s'est suicidé en criant son nom.
Je quitte la cité. Je chercherai ce qu'est devenu ma soeur depuis mon propre temple cela paraîtra moins suspect.
La traversée se passe le plus tranquillement du monde... seulement trois morts. Trois morts elfes noirs, les autres ne comptent pas dans les statistiques des soldats. Mais moi, ayant dirigé des raids, j'y vois des sacrifices à khaine qu'il faudra compenser. Compenser avec le sang de ma race.
Arrivé dans mon temple, on me fait déjà demander. Pour être reçu avec une telle urgence, je m'interroge. Ai-je commis une erreur?
Une épouse de khaine me reçoit une copie du parchemin de ma mission à la main.
-Tu as accomplis ta mission avec brio:nul ne t'as vu , tout est passé pour un accident et tu es revenu en vingt-quatre heures alors que tu avais une semaine pour accomplir ta tâche.
Je suis en train de me faire féliciter pour le meurtre accidentel de mon père. Je n'ai aucun regret pourtant. Ce père qui m'a trahi. J'avais toujours cru mériter mon châtiment.
D'abord khaine m'a offert une seconde chance alors que je n'étais qu'un déchet recueilli par des humains après l'exécution. Ensuite il m'a offert la vérité sur mon ancienne vie, sur mon ancienne identité: wordrantz. Aujourd'hui khaine m'a offert une vengeance.
Et peut-être même plus...
-Lamebrume tu dois être le seul à ne pas connaître la nouvelle. Ton chaperon c'était Kravor. Ce minable te prenais de haut mais tiens toi bien il s'est fait tué, par le messager en plus. Une coupure sur son cou probablement lorsque le messager s'est débattu. Le temps que le poison fasse effet, il est mort quelques rues plus loin.
-Tu sait ce qui est comique là-dedans? On a retrouvé une lettre de condamnation portant le cachet du seigneur Wordrontz, que tu as tué. Avec la même date. Mais tu t'es montré plus rapide.
-Oui Lamebrume, le seigneur Plortran qui avait obtenu ton aide pour tuer Wordrontz, n'est mort que bien plus tard le lendemain. Du poison dans son assiette! Toi un novice a tué plus vite et en camouflant mieux ton meurtre qu'un autre assassin. Voilà qui va accroître la réputation de notre temple.
La maison de mon père n'a plus d'héritier mais il a obtenu vengeance. "Tard le lendemain" a-t-il dit? A l'avenir je devrai moins diluer mes poisons...
Je dois tellement à Khaine, il m'a montré la voie, la voie de la vengeance.
Accueil 
Sujet: Lamebrume 
